« Il a pas toutes ses frites dans le même sachet! »

Etant donné que le moment le plus rocambolesque de ma journée fut celui où je découvris que le chat avait vomi sur mon ordi et que, hier, mon occupation la plus utile fut de regarder le Top 10 des chats qui ressemblent à Hitler (y aurait-il un lien entre les deux?)(hasard, coïncidence ou complot antisémite?), je vais vous reparler de la Belgique.

Ca remonte à y a quelques semaines déjà. J’aurais du rédiger cet article alors que j’étais encore chaude comme un frite-cot, l’esprit plein de ce beau soleil bas du nord, les poumons encore emplis de cet air pur qu’on inspire dans la capitale la plus verte d’Europe (eh oui!), le coeur adouci par ses jours de rigolade, d’accueils chaleureux et de one-man-show-de-transformiste-fan-de-comédies-musicales.

Au lieu de ça, j’ai tourné en rond à Paris en discutant occasionnellement avec des (futurs-ex)amis dépressifs (je suis parisienne, je suis une connasse, j’élimine de ma vie les gens en souffrance de peur qu’ils se mettent à parler d’eux et n’écoutent plus ma vie fascinante (« Des chats qui ressemblent à Hitler!!! Trômignon!!! Tu m’écoutes ou quoi?! »)(Surtout que les dépressifs sont souvent négligés, et voir des vêtements Zadig & Voltaire d’avant 2008 me brûle la rétine ).

Transition parfaite, tiens: voilà une des raisons pour laquelle on ne s’étonnera pas si dans six mois je fais mes valises pour Bruxelles – et si dans six mois et une semaine je débarque à l’improviste dormir chez toi, ami parisien (C’est qu’à 1h22! Je peux revenir dès qu’il faut, hi hi hi!! On mange quoi?)…

1ere victoire patrie-d’Albert vs chez-nous-les-cons: à Bruxelles, il y a pas de pintades parisiennes. Ni de leur équivalent mâle (le « pintard », me dit yahoo Q/R qui dit toujours la vérité).

A Bruxelles, à l’instant où tu franchis le seuil d’un bar, des yeux bioniques de modeuses ne détaillent pas la coupe de ton jeans/ le taux de hype de ton t-shirt/ le degré de vintage de ton manteau/ le prix de ton sac pour déterminer en 1 nano-seconde si elles te méprisent (moyenne globale inférieure à la leur) ou te haïssent (moyenne supérieure, égale ou possession d’un sac Marc Jacobs+d’un mec assorti)(un mec en cuir sublime-mais-passe-partout avec double-anse et cheveux « marrons glacés »).

A Bruxelles les gens sont un peu ploucs.

Témoignage d’une expat anonyme: 
« La 1ere fois que je suis venue à Bxl, j’ai su que je resterai ici. Pour la 1ere fois de ma vie, je ne me sentais pas ringarde dans le métro. Même quand je ressemble à rien, je suis mieux que la plupart ».
Ouais, c’est trop bizarre: dans cette ville, les gens sont normaux. Ils ne te jugent pas entièrement d’après du vent. Ils ne sont pas psychotiques et dangereux comme les garces du Marais. Ils t’autorisent à rentrer en boîte même si tu n’es pas RP chez Miu-Miu (et même si tu ne sais pas qui est Miu-Miu je crois)(au passage: si, en lisant Miu-Miu tu as pensé à Un Indien dans la ville et/ou à Rabbi Jacob: ma porte à Brussels te sera grande ouverte).

Et même, j’irai plus loin, soit bien au-delà des limites connues de mon univers intra-périph, atteignant une sphère que je croyais n’exister que dans les séries AB ou dans Martine fait du shopping: quand tu fais les boutiques à Bruxelles, les filles sont sympa. Les vendeuses. Sont. Sympa. Pour de vrai! Pas pour toucher leur 1% en te refourgant une jupe-culotte mi-mollet-beige-c’est-la-dernière-on-se-les-arrache.

Et les clientes! Les clientes sont sympa MÊME DANS UNE FRIPERIE! Là où normalement les biatches te haïssent d’avoir trouvé cette robe unique-au-monde avant elles et seraient prêtes à te l’arracher ainsi que ta peau en te tranchant la jugulaire avec leurs escarpins. A Bisounours-land, elles sourient, papotent, elles donnent leur avis, elles t’aident à trouver la petite ceinture qui irait fort bien et wouah elles sont top ces chaussures une-fois!

(et ainsi je me retrouve avec une robe verte pomme à motifs plissés en trompe-l’oeil et avec un col sorti de la costumerie des Bronzés font du ski…)(Peut-être se sont-elles bien foutu de moi en fait ?..)

Eh bien, si vous dites que c'est tout à fait mes couleurs, je la prends! Vous êtes tellement gentils, vous les wallons!

Bon et à part la mode (ne part pas (faible) lectorat masculin!), THE différence Paris vs Bruxelles: c’est l’espace. Attention, moment intelligent.

Avoir de l’espace, ne pas se marcher dessus dans la rue, ne pas s’étouffer dans les aisselles d’inconnus en fin de journée dans le métro, ne pas devoir vendre sa mère et se créer une fausse identité pour louer un appart mansardé de 9 m2, ne pas être convaincu que piétiner son voisin est le seul moyen de survivre, évidemment ça change l’état d’esprit. L’espace -ou son manque- change absolument tout de la mentalité des habitants, de leur taux de stress et de la sérénité -ou pas- des rapports sociaux. Si ton espace vital n’est pas continuellement assailli avec violence, tu es bien dans tes pompes, moins en guerre avec la terre entière. Tu peux donc sourire à la personne en face de toi dans le métro sans qu’on te prenne pour un pervers psychopathe ou une prostituée. Tu peux renseigner, discuter, inviter chez toi plus d’1/2 personne à la fois (surtout que les hauteurs sous plafond à bxl sont insensées. Donc, si malgré l’immense superficie de ton appart, tu as trop d’invités, il suffit de les superposer ou d’en faire une pyramide. A l’aise).

Ah oui, c’est pour l’immobilier que Bruxelles te donne vraiment envie de chialer. Là bas, tu peux déménager quand tu en as envie. Tu n’es pas prisonnier de ton studio humide à cause de tes fiches de paie de free-lance. Genre en 24h, j’ai eu, sans rien demander, 3 propositions d’apparts, grands, clean et bien situés. A Paris je me terre dans un premier étage plein nord sur la ligne 13 (pleurs).

A Bxl, tu peux habiter dans un quartier sympa même si ton père n’est pas un émir, un porteur de valise africain ou un ami de Sarkozy (ah oui, au temps pour moi, c’est la même chose).

Là, le lecteur assidu reconnaîtra quelques points communs avec la douce ville de Berlin comme je le disais brillamment juste ici.

Et puis y a des parcs. Il y a aussi des routes qui permettent de circuler en voitures sans devenir cinglés et qui font que les gens peuvent dire des phrases insensées comme « T’embête pas, je te raccompagnerai« . What? Un détour volontaire pour rendre service?! Mais enfin, tu es malade, tu crois que tu vas rouler 10 minutes de plus mais tu resteras coincé dans les embouteillages, tu tourneras 3 h pour trouver une place et de toute façon tu te prendras une prune pour avoir fini garé au milieu d’un trottoir handicapé!! Ah non. Pas à Bruxelles.

(Wooh, c’est bien la 1ere fois de ma vie que je défends qu’il faut rouler en bagnole. Que m’arrive-t-il? Que m’ont-ils fait? Bon, je ne dit pas non plus que c’était très beau, hein, ces grosses autoroutes 6 voies à travers la ville).

Selon moi, le drame de Paris, c’est le périph, qui a limité et enfermé la ville pour des décennies. Je propose une plainte contre Pompidou pour crime urbain contre l’humanité.

Bon abrégeons: sur le niveau de vie aussi les belges nous éclatent.

J’ai une copine comédienne. A trente ans, elle est propriétaire d’un studio, son mec aussi et ils envisagent de s’acheter un appart ensemble. (Elle a une voiture aussi). Genre, à trente ans, tu peux avoir du patrimoine immobilier! Moi à 27 ans, je suis propriétaire d’un vélo avec un panier défoncé et d’un mac qui rame. (Punaise, je rêve d’avoir une voiture et du patrimoine? Mais enfin? Qui suis-je? Que m’arrive-t-il? Arrêtez-moi avant que je fantasme sur l’achat d’un labrador, svp).

Et puis, les gens sont accessibles. Tu ne dois pas avoir 40 ans pour avoir le droit de travailler et proposer quelque chose d’original. Etre jeune n’est pas un handicap. Et ne parlons pas des bières. Du prix des bières. Des musées alternatifs, des concerts du dimanche, que du point de vue culture, les belges nous mettent tellement minables qu’on n’a plus qu’à pleurer (ou se bouger). Pour la danse, bien sûr, ce sont les meilleurs du monde. Les plasticiens belges sont trop forts aussi. les dessinateurs. La moitié des écrivains français que vous admirez sont en fait belges (Guillaume Musso est bien français). Idem pour les musiciens. Idem même pour les radiologues, même, ouaip.

Les belges sont dingues et audacieux, soit tout le contraire de nous qui n’osons rien parce qu’on attend l’autorisation (et les subventions) de nos pairs, ces soixantenaires assoupis qui se croient au top de l’innovation sans avoir rien essayé depuis 1969. Ils font et proposent plutôt que de vouloir prouver avec frilosité qu’ils sont trop intelligents. Et du coup, ils ne se la racontent pas. Ils ne passent pas leur temps à mettre en scène leur fascinante personne en parlant fort. J’entendais un groupe de comédiens bruxellois discuter entre eux. Une phrase m’a bien fait mal:

« Machine, elle est vraiment très française.

-Oui, c’est vrai qu’elle a les dents qui rayent le parquet ».

Hum hum.

Et puis à Bruxelles, y a l’Eurôpe, Môssieur, et ça c’est important. Là où de valeureux chevaliers modernes plein d’abnégation se battent pour nos droits, nos libertés, nos égalités. On se croirait à la Défense, sauf que c’est en centre-ville et que la Commission Européenne est une institution sociale et engagée, bien sûr, pas une entreprise avide de profit.

Enfin, comme à la Défense, l’employé de base est évidemment un mâle. Bien blanc. De plus de 40 ans. Grisonnant. Vêtu de gris anthracite. Point trop de djeuns, ouhlala, non, tous des délinquants, point trop de femmes, ouhlala, non, ça nous déconcentrerait de les voir préparer des cookies en string pendant les réunions officielles.

Et comme on est particulièrement des arriérés, les euro-députés français sont encore plus vieux et hommes que la moyenne, comme le montre bien cette photo (catégorie moins de 30 ans = zéro. 30/39 ans = 2)

Ouais je fais du reportage-photo maintenant! (mais je sais pas encore comment faire pivoter une photo...)

Enfin, dernier argument pour aujourd’hui: les belges viennent de nous prouver qu’un pays pouvait sans trop de problème tenir 500 jours sans gouvernement. Que ça n’empêchait pas les gens de se lever, d’aller bosser, de manger de la soupe et de faire des gosses. Belle leçon d’humilité à destination des hommes politiques, je trouve.

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Bilan du match: victoire éclatante du pays du Speculoos. Je me dis que pour s’infliger de vivre à Paris, on est bien maso et bien prétentieux. On s’entasse pour un rêve de gloire narcissique, persuadés que « tout » se passe ici (ce qui était vrai en 1920. Aujourd’hui c’est à Shangaï, voyons) et pourtant, on se plaint. Franchement: on n’a pas toute nos frites dans le même sachet. (= il nous manque une case. Même leurs expressions sont charmantes, n’est-ce pas?)

Vraiment, Paris, ma chérie, qu’est-ce que tu fabriques? Tu sembles toute pourrie comparée à tes voisines spacieuses, simples et animées ! Heureusement qu’il te reste le XVeme arrondissement.