S’engager-juré-craché à ce qu’un édifice religieux érigé il y a 800 ans, par des générations de bâtisseurs (anonymes!), sur l’emplacement de divers églises et temples, depuis l’époque gallo-romaine, restauré après la Révolution, et qui précisément émeut les gens, on suppose, parce que l’immensité, parce que l’ancienneté, l’infini ! – sera reconstruit – «je m’y engage!» – dans CINQ ANS!
Promettre de plier un symbole d’éternité en moins de temps qu’un mandat municipal ?
La transcendance en à peine plus de temps que celui séparant deux coupes du monde de foot ?
Pif paf pouf, disruptif, nickel, bam, là les poutres, là les cloches, t’inquiète je gère, là un candelabre, un gros tableau, et bim: le progrès quoi.
Promettre ça sans avoir la moindre compétence en matière d’archi, menuiserie, et autres métiers pointus. Et avant que soit rendu le moindre bilan de situation des dégâts.
C’est quand même la déclaration la plus immensément aberrante et megalo qui soit.
C’est abyssal de déconnexion avec – avec tout en fait.
Or donc.
Contre le contre-sens (et la phallocratie symbolique) de ce concours qui se déroule actuellement, concours de qui aura la plus grosse (flèche au sommet) et la plus rapide (obtention de marché) envers une pauvre cathédrale qui n’a rien demandé…
Parce que, déjà que notre ‘champion de la Terre’ se fout effrontément de l’écologie, faut-il laisser celui qui se vante constamment de faire table rase des héritages (du CNR) gérer le chantier d’un édifice conçu pour traverser les siècles ?
Faut-il raser une forêt centenaire pour reconstruire le toit demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, et sans avoir pris le temps d’étudier les options ni même de respirer le parfum des arbres ?
Veut-on laisser l’immensité de nos questions métaphysiques à des multinationales qui tuent des bébé phoques ? Faut-il les exonérer d’impôts quand ils nous piquent nos rêves d’éternité?
Et si on demandait plutôt à Jeff Koons une flèche d’église en forme de sucre-d’orge géant? Ne serait-ce pas plus progressiste? Et ça pourrait faire un bel hommage aux chirurgiens-dentistes, qui bientôt diffuseront des pubs pour leur corporation sur l’écran géant installé en remplacement du gros vitrail qui a brûlé? (un écran LED bien sûr! Make our planet great again!)
D’ailleurs pourrait-on profiter des gros travaux qui s’annoncent pour construire un parking cossu sur l’île de la Cité – parce que tout de même, en voiture, c’est l’enfer, ce coin-là? Au fait, le beffroi sud nous coûte un pognon de dingue. Vaut-il mieux le vendre à un fonds de pension américain qui pourra enfin y installer le Starb*cks qui manque dans le quartier? Ou favoriser une entreprise du CAC40? Et alors sous quelle forme? Une concession de 800 ans? Ou un emprunt à taux variable permettant à la banque de spéculer contre nous, sur le modèle testé en Grèce ?
En réponse à cet épuisant cynisme, je propose de mettre un siècle à reconstruire Notre-Dame. Un siècle minimum. Qu’on promette de ne pas aller plus vite. De mener le tout avec douceur, humilité, délicatesse, soin et exigence écologique, adaptation au fil des années, courage, abnégation, écoute et solidarité.
Et qu’on profite de tout ce temps pour réfléchir à la portée de nos actes.
Tou.te.s assis.es par terre, en silence ou en discutant, avec nos petites mains, on ferait des ateliers vitraux et taille de pierre. Du torchis aussi pourquoi pas. On apprendrait. On inventerait. On se transmettrait du savoir, de génération en génération.
On accepterait tout le monde, même les chaînes d’info continue, qui voyant qu’il ne se passe rien d’outrageux, renonceraient bientôt à nous filmer, et viendraient rejoindre l’atelier verre soufflé. On accepterait même les PDG de multinationales, tant qu’ils se mettent pieds nus, en tailleur, et n’essayent pas de nous délocaliser.
Ce serait laïc, au vrai sens du terme, c’est-à-dire que chacun.e y croirait en ce qu’il/elle voudra et l’exprimera à sa guise. Evidemment on pourra aussi ne pas croire en Dieu, croire en plusieurs, croire en la réincarnation de Dalida ou comme dit ma mère ‘croire en l’humain’.
Par moments, les orgues joueraient des slows -pourquoi pas- et on danserait.
Aucun.e de nous ne verrait jamais l’aboutissement ultime, la chose terminée, (peut-être nos enfants, ou nos petits-enfants?) et ça n’aurait aucune importance.