Comment je dois faire pour que Léo il accepte de danser avec moi?

L’autre soir, je me suis retrouvée à une boum.

Pas une fête, une teuf, une soirée, une sauterie, une boîte, une flat-party, un cocktail-vernissage-branchouille-sa-race, non non: une BOUM. La moyenne d’âge était d’ approximativement 9 ans et 8 mois, ça buvait de la menthe à l’eau dans les coins, y avait des lumières roses über-kawaï, une vraie boule disco, et un Disque Joquet qui laissait systématiquement 8 secondes de blanc les morceaux (le temps de changer de CD, eject, enter, trouver le numéro de la piste, tout ça tout ça…). Bref, c’était comme dans mes souvenirs (mis à part le remplacement de feu Scatman par la bouchère Lady Gaga). Les rares adultes en présence étaient des quinquagénaires dépassés par l’hystérie ambiante qui fixaient le fond de leur gobelet de grenadine en espérant pouvoir se téléporter devant Thalassa avant 22h… et moi. L’adulte en jachère que je suis a atteint le zénith de la régression – ou touché le fond si vous voulez le dire méchamment. J’ai fait la ronde, j’ai bu un litre de menthe à l’eau, j’ai papoté dans les canapés avec mes copains de 9 ans, j’ai mis le feu sur Fatal Bazooka. J’ai même dansé la chenille.  En entier. Et en respectant les paroles, s’il vous plaît.

Parce que, oui, il y a des indications très précises dans La chenille, c’est pas juste une queue-leu-leu, bande de profanes.

Eux, ils ont bien suivi les paroles: je dis OUI

Bon, parce que je suis bonne, que j’aime la littérature et parce que, bien qu’étant une infecte citadine élitiste, je sais glorifier la culture populaire, je les partage avec vous:

(Au début c’est facile:)

Pose les deux pieds en canard (check)
C’est la chenille qui se prépare
En voitur’ les voyageurs
La chenill’ part toujours à l’heure

Accroch’ tes mains à ma taille (check)
Pour pas que la chenill’ déraille (of course)
Tout ira bien et si tu veux
Prie la chenill’ (check) et le bon Dieu (non, ça je fais pas, faut pas déconner)

(Attention, après, la chenille devient plus ambiguë:)

Si tu crois qu’j’t’ai pas vue
Faire la petit’ ingénue (oh!)
Avec Pierrot dans le tunnel (amis de la métaphore, bonjour)
Allez sois pas jalouse
C’est un copain, c’est tout
Tu sais qu’nous deux c’est pas pareil. (oui, la chenille prône l’infidélité, ça vous en bouche un coin, hein!)

(ensuite la chenille gobe des ecsta:)

Regarde l’éléphant bleu
Qui dans’ sur l’arc-en-ciel
Sous les bravos des hirondelles

(je vous épargne les quatre autres couplets. Vous les trouverez facilement si le sujet vous intéresse vraiment)

Bref, c’était une chouette soirée, on était entre potes, heureux, libérés, affranchis du quotidien dans une grande communion sprituello-festive et la grenadine nous montait délicatement au cerveau, nous laissant ivres d’être libres.

Soudain, l’adorable Catarina (8 ans 1/2) vint me voir et la voix tremblante m’avoua: “J’ai besoin des conseils d’une grande personne (moi en l’occurrence. Rapport au fait que les autres convives mesuraient en moyenne 1,38 m, je suppose.) Comment je dois faire pour que Léo il accepte de danser avec moi?”

Aider deux enfants à vivre leurs premiers émois? Superbe mission, que je pris toute de suite en charge et avec coeur. Alors, Catarina, sur le coup je reconnais que je n’ai pas été d’une grande aide (détails de mon cuisant échec dans la suite de l’article…) donc je vais essayer de me racheter ici même.

Comment inviter un autre être humain à danser avec soi-même?
(si on n’a pas les atouts de cette femme…)

Globalement, pour ceux qui vivent un quotidien sans bal des débutantes ni soirée rally, l’invitation à danser est un acte peu fréquent. Mis à part les mariages (où on accepte le ridicule avec bon coeur et quelques coupes de champagne rosé), les soirées entre vieux potes (où on s’invite à danser des slows à quatre et à contre-rythme), voire une petite danse coincée avec un collègue pour le pot de départ de Jean-Jacques, on danse rarement avec des presque inconnus. Moins encore avec quelqu’un qu’on drague. Ou alors sur de l’électro, sur Phénix, sur Mika même si vous y tenez: bref, sur de la musique où les mains n’ont pas à être posées avec crispation sur les épaules ou les hanches de l’autre.

PROBLÈME N°1: les slow, c’est nul.

Si les slow ne courent pas les soirées, c’est pour une bonne raison: c’est nul. Tourner en rond lentement, c’est la lie de la chorégraphie. Et écouter en groupe des chansons romantiques c’est déprimant et kitsh. Personnellement,  les derniers slows que j’ai entendus, c’était dans une boîte de nuit tristoune d’Istanbul. Jusque là on écoutait de la dance turque des années 90, (c’était déjà douloureux). Soudain ont retenti Mariah Carey & les Boyz 2 Men, et on s’est cru téléportés dans une discothèque de montagne un jeudi soir. Le slow a le pouvoir de rompre le continium espace/temps et de transposer les rives du  Bosphore en La Plagne 3000. Back to the 80’s en deux coups de violon.

Le slow tue l’ambiance. Terreur répandue que celle de faire tapisserie, du coup tous les danseurs s’enfuient de la piste, se retrouvant violemment nez-à-nez avec leur solitude et leur whisky-coca tiédasse. Restent  deux couples enlacés et limite malsains qui angoissent tous les spectateurs de leurs parade nuptiale, et un type bourré qui joue à se rouler des pelles à lui-même. Et quelques pauvres hères tentant de trouver une fille perdue à traîner sur la piste dans l’espoir d’une fin de soirée réchauffante. Pauvres hères, je vous le dis: ça ne marchera pas. Vous allez lui brailler des questions grotesques dans les oreilles (« Tu viens souvent ici? Tu as l’air si douce! »…), elle fera semblant de ne pas comprendre et de ne pas remarquer que votre main glisse vers son Q. Ou bien elle vous dira non, et ça voudra vraiment dire non. Allez donc recommander un whisky-coca et faîtes comme tout le monde: maudissez Mariah Carey, et toutes les chanteuses utilisant plus de deux octaves dans un même morceau.

PROBLÈME N°2: ragots, jugement, a priori: nos congénères sont des chiens.

Dans notre cas précis, on était en boum, donc faisant fi de ces horribles critères de branchitude, j’ai forcé le Disque Joquet à mettre un slow. Il choisit Dreams are my reality (ah bah oui hein, quite a être dans une boum, autant y aller franchement). Pour aider la petite Catarina dans son entreprise d’approche,  je suis moi-même allée inviter un garçon à danser. Parmi les avantages de ne pas avoir 9 ans, (outre le fait qu’on puisse mettre de la bière dans sa grenadine), il y a qu’un garçon ne répond pas Non quand on l’invite à danser, et ne s’enfuit pas pour jouer à la baston avec ses potes. Le garçon que j’avais choisi pour mon expérimentation étant tout à fait gentleman, il s’est même empressé de m’inviter lui-même à danser (c’était pas encore le quart d’heure américain voyez-vous).

Au bout  d’approximativement 7 secondes que nous tournoyions sur nous-mêmes (que c’est nuls les slow!), le monde s’arrêta autour de nous. Au sens propre. Pas dans le sens “soudain transcendés par le romantisme, nous retrouvâmes nos quatorze ans et perdus dans l’émotion du contact physique le monde sembla s’arrêter de tourner…” Non, au sens propre: les 50 enfants qui hurlaient et gesticulaient dans la salle se turent d’un coup, nous encerclèrent… 

… et explosa un choeur chaotique de cris: “C’est des a-mou-reux-eux! C’est des a-mou-reux-eux! C’est des a-mou-reux-eux!”. Tétanisé, mon partenaire a arrêté de tourner (« Steuplé, on danse sur place, je peux pas affronter leurs regards! »). On a tenu vingt secondes de plus et on a jeté l’éponge. Un groupe de filles m’a harcelé toute la soirée niant totalement mon explication mature et rationnelle (« Vous savez, une fois devenus adultes, on peut danser avec un garçon sans être amoureux ») à coups de « Naaan, vous êtes trop des amoureux! Trop des a-mou-re-euh!! »

9 ans c’est un âge pas facile pour la mixité et l’amitié homme-femme.

Mais même plus âgés, on n’est pas à l’abri des ragots et des mauvaises langues. Si on danse tranquille et libérée (même sans idée vicieuse) avec quelqu’un(e) du sexe opposé, (oui je me base sur des cas hétéro uniquement. Non, c’est pas par homophobie, c’est rapport au fait que j’étais dans une boum avec des enfants de 9 ans, au cas où vous auriez pas compris) , y a de grandes choses que ça passe pour que ça fasse jacasser. Inviter un inconnu: c’est de la drague, inviter un pote: c’est pour rigoler, bref: on est coincés. On déconne ou on allume, le jugement est toujours impitoyable: society shit.
Dans le bordel provoqué par nos 20 secondes de slow adulte, la petite Catarina n’a pas pu inviter Léo à danser. Elle a entrevu la réputation qui allait la suivre jusqu’au bac si elle osait allumer Léo. Lui s’est enfui avec ses potes pour jouer à la baston.
Echec de ma tentative de mère-maquerelle catégorie poussin.

PROBLÈME N°3: les “danses à deux”

Si comme moi vous avez des convulsions à entendre la BO de Bodyguard ou tout air sirupeux à potentiel nostalgie, il faut trouver autre chose que le slow comme support musical pré-pré-pré-coïtal. Et là, problème: la danse de couple sied mal à notre époque. Je dirais même plus: les danses à deux sont toutes nases.

-La valse? Superbe et grandiloquente, sauf qu’il est physiquement impossible de conclure en valsant (à part dans Angélique marquise des anges peut-être). Ca tourne trop vite, trop fort, on se concentre pour ne pas se cogner aux autres couples et à la pyramide de Ferrero Rocher, on garde le regard fixe pour éviter le tournis et le visage crispé pour s’empêcher de vomir. Bilan sensualité: 2/10.

-La salsa? Tout d’abord c’est une danse compliquée, faut apprendre, donc manque de spontanéité (« Ouais, dans 5 ans je pourrai pécho! »). Et encore faut-il que l’Autre sache salser aussi, sinon c’est infernal (« J’ai pris 5 ans de cours hebdomadaire, c’est pas pour danser avec une gourdasse qui connaît pas les pas! ») Et au-delà de cet aspect technique, la salsa c’est tout de même parfaitement ringard… comme toutes ces danses latinas (samba et consort). Délaissée aux faux vieux-beaux (ceux qui ne semblent corrects qu’éclairés par des appliques couleur lie-de-vin et après quatre caîpirinha), la salsa est démodée mais surtout elle agaçante. Les salseurs sortent dans des bars à salsa (des bars normaux sauf qu’il y passe la même chanson en boucle et qu’un poster du Che traîne dans un coin), parlent salsa (ennui garanti), draguent salsa (ce qui devraient être interdit avant 60 ans ou en tout cas au-delà des frontières d’Amérique Latine), boivent des pina-colada, et surtout sont persuadés d’être à la pointe de la coolitude. So 1998! So Clermont-Ferrand! Je continue ou ça ira?

-le rock and roll? Acrobatique. Sauté. Piqué. Combien de variantes ridicules à la danse de couple de St-Cyr/Versailles? Démodé, soûlant, et insupportable en société, le couple rock’n roll est d’une frénésie qui donne envie de leur mettre la tête dans une enceinte. Il prend toute la place en butant dans le buffet sans s’excuser (trop concentré, trop heureux), frime de savoir sautiller sur Rock around the clock et de contorsionner ses bras comme des acrobates du Cirque du soleil et tout ça sans perdre le sourire. Il danse surtout toujours en espérant que les autres vont les observer et les jalouser.

-Le tango? Sexy? Certes. Mais comme à peu près personne ne sait tanguer convenablement, il se résume généralement à une pathétique imitation d’un cliché d’esprit argentin, dans lequel un type en chemisette rose pâle prend des airs d’Antonio Banderas et fonce à travers le salon en regardant sa main. Dans une cave de Buenos Aires, sans doute que je craquerais, hein, je ne suis pas de mauvaise foi. Mais, je n’y suis pour rien: la plupart des danses vivent mal l’import-export.

Tu savais que jean-luc, de la compta, il faisait du tango?

-Les trucs très sensuels collés-serrés genre zouk ou lambada? Ou toute musique soit-disant festive (trompettes) et exotique (djembé/ocarina) censée prouver qu’on est si libérés corporellement qu’on quasi-baise avec un inconnu au milieu de la piste de bal? Non, merci. Danse de macho-man assoiffé de chair fraîche, venu danser ici et seul juste pour signifier aux femmes qu’il était un étalon avec un phallus de 30 centimètres qui ne se repose jamais. Un genre de danse et d’existence dans laquelle la femme est un truc beau, sensuel, porté comme un trophée mais créé avant tout pour servir le mâle et lui obéir (essayer de prendre une initiative sur un mouvement de zouk pour voir mesdemoiselles…)

– Le jerk, le charleston, le chachacha, le twist et autres “danses de salon” délicieusement désuettes? Charmant. Mais comme je ne sais pas faire et que je n’ai jamais essayé de draguer quelqu’un en 1924, je ne me sens pas trop concernée.

Bref, tirez-les les conclusions que vous voulez sur notre époque actuelle, le manque de romantisme, le rejet du corps, mais bon la danse à deux, c’est pas la situation de drague la plus courante.

Alors certes, je sais que je biaise un peu le sujet: ce qui compte dans la danse à deux, c’est pas la danse, c’est le deux. Le contact, le toucher, l’amusement, tout ça tout ça. Soit.

PROBLÈME N°4: bah, déjà que la musique est pourrie, qu’est-ce que je dois dire?

A priori, soyons simples et efficaces. pas de fioriture de langage. Voire éviter de parler. On s’approche, on tend la main, et on laisse parler les corps. Si on est beau, comme pour tout, c’est plus simple.

Si c’est juste pour trouver quelqu’un avec qui danser, sans enjeu particulier, c’est pas la mer à boire. Le drame arrive quand il y a du sentiment sur le tapis. Parce que là, on devient godiche, notre cerveau se fait la malle et que nos vieux traumatisme d’abandon refont surface. Amoureux, on a toujours 8 ans 1/2.

La suite de la Boum au prochain article, grâce à cette deuxième superbe citation de Catarina (qui a déjà compris beaucoup de choses sur la drague et les hommes): « Pourtant, je crois que Léo il est amoureux de moi, parce que souvent, quand il me voit, il me tape. »

5 réflexions sur “Comment je dois faire pour que Léo il accepte de danser avec moi?

  1. « la danse de couple de st-cyr/versailles »… Versailles je saisis, mais St-Cyr? Cette vieille banlieue coco cradingue? L’association serait donc si fréquente? Ou alors y aurait-il comme une allusion cachée à des gens qui auraient grandi à St-Cyr et appris à danser à Versailles? Ils ne doivent pas non plus être légion… je m’interroge…

    1. En fait c’est parce que je pensais à l’école militaire de St-Cyr, j’imaginais les futurs officiers de l’armée de terre se lâcher sur des vieux tubes rock… Et puis comme le train pour Versailles passe par là, l’amalgame s’est formé dans mon esprit. Peut-être un peu capilotracté, donc. Mais je n’attend qu’une invitation à une soirée saint-cyrienne pour vérifier mes propos…

  2. j’adore ton article il est très bien écris mais il manque quelque chose : les solutions ! tu ne nous parle que de problèmes et nous laisse avec sa sur les bras. Pas une seule fois tu ne nous donne un conseil et je trouve ça dommage. Sinon c’est extrêmement bien écrit !

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